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A l’extrême EST : la vallée de SIGUER

Une vallée encore très habitée entre les deux guerres

Les pâturages qui entourent le village de Gestiès

Revenons au pic du Garbié de Brésoul et allons vers le nord est sur la crête bien boisée qui sépare les vallées de Sem  et de Siguer. A travers les fenêtres ménagées de place en place dans le couvert végétal, on a de belles échappées de vue sur les pâturages qui entourent le village de Gestiès.

Le regard est attiré par la petite église de Saint Nicolas de Gestiès : placée sur une légère éminence qui la met en valeur, et d’une grande simplicité de conception, elle s'intègre particulièrement bien au paysage environnant. De taille modeste, robuste et austère, elle est bien représentative de ces nombreuses petites églises romanes qui, protégées par leur isolement dans la montagne, sont parvenues jusqu’à nous. Leur architecture dénote l’influence de l’art Lombard, venu d'Italie par l'intermédiaire de la Catalogne ; l'influence de l'Andorre est aussi visible au travers des robustes clochers tours qui jalonnent le Vicdessos. Du fait de la dureté et de la dangerosité de leur travail, les mineurs du Rancié étaient fortement attachés aux fêtes religieuses ou corporatives. Le lendemain de la disparition de l’un d’eux, ils récitaient la prière des morts avant d'entrer dans la mine, où était célébrée la messe des morts en présence de la corporation tout entière, mineurs et ingénieurs à genoux. On honorait Saint Roch et Sainte Barbe, patrons des mineurs, Saint Eloi, patron des muletiers, Saint Grégoire, Saint Jean-Baptiste et tous les Saints patrons des églises de la vallée…

    Les différents mouvements religieux (catharisme, Réforme) ont peu pénétré les hautes vallées ariégeoises, contrairement au reste du pays de Foix ; il y a toutefois des cas recensés d’hérésie : le clerc Bernard Franc, de Goulier, a été condamné pour catharisme en 1321. 
La petite église de St Nicolas de GestièsA la fin du 19ième siècle, le clergé s’est fortement impliqué dans la vie politique du côté des conservateurs pour combattre les idées républicaines. 
En 1882, le prêtre d'Auzat suscitait dans la population la peur de l'école laïque : les démons personnifiés par les instituteurs empêcheraient d'apprendre la religion et aux filles de faire leur première communion… Il est allé jusqu’à menacer d’excommunication les parents qui laisseraient entre les mains de leurs enfants les manuels d'instruction morale et civique.     En 1885, en réaction à la suspension des traitements des prêtres engagés dans le combat politique, le curé de Goulier écrivit au préfet : "Enfant de la vallée du fer, je saurai me rendre digne de mon pays en vous résistant jusqu'à la dernière goutte de mon sang. Je méprise les hommes de votre trempe qui pour anéantir Dieu et son Eglise, foulent à leurs pieds les droits les plus sacrés".
      Descendons jusqu’au fond de la vallée : Siguer, 1600 habitants au milieu du siècle dernier n’en compte plus qu’une centaine aujourd’hui, retraités pour la plupart; il y a bien quelques jeunes qui vivent au village mais ils travaillent en ville. Sur place, il n’y a aucun commerce (le boulanger ambulant passe 4 fois par semaine, et quelques autres camions de commerce durant l’été). Il n’y a plus d’agriculteur en activité. Un éleveur de Capoulet met ses bêtes sur les estives du village : les bovins (des blondes d’Aquitaine) sont du côté de Lercoul et les ovins (des tarasconnaises) plus haut, sur les crêtes au-dessus de Gestiès. Un habitant de la commune a aussi un petit troupeau de moutons.
Le début de l’exode rural peut être daté de 1845, avec la maladie de la pomme de terre (devenu aliment de base depuis son introduction au 18ième siècle) qui fait suite à une série de mauvaises récoltes. Cette situation agricole alarmante se double d'une crise industrielle due à la baisse du prix du fer et à la concurrence des hauts fourneaux du Nord.
    Les ouvriers spécialisés des forges, les mineurs du Rancié, les bûcherons et charbonniers partent en groupe de la Saint Jean à Noël vers l'Aude, le Béarn, la Catalogne ou l'Andorre. Colportage et petits métiers se développent : hommes et femmes vont de ferme en ferme vendre des objets de piété, de la mercerie, des lunettes et des bijoux fantaisies. Les femmes de Vicdessos augmentent les ressources du foyer par leur activité de nourrice.

    Cet exode d’abord temporaire deviendra définitif, et la montagne cultivée et habitée à l'extrême se transformera en un paysage de friches parsemées de granges en ruine et de hameaux isolés.
Mais ce déclin économique et démographique amorcé au milieu du 19ième siècle a été progressif : il y a moins d’un siècle, toutes les terres autour du village de Siguer étaient encore exploitées. On y cultivait légumes (choux), pommes de terre et céréales, en optimisant au maximum la période estivale : après une première récolte de seigle, les champs étaient réensemencés en sarrasin (une céréale particulièrement peu exigeante) ; au blé succédaient les navets. Un système de terrasses permettait la mise en culture des terrains en pente ; comme la terre descendait du fait du ruissellement, un des travaux de la fin de l’hiver consistait à la remonter : les plus aisés le faisaient à dos de mulets ; monsieur Raymond JEAN, né à Siguer il y a bientôt 80 ans, se souvient de l’avoir fait dans une hotte qu’il transportait sur son dos. De la même manière, il portait le fumier depuis la maison jusqu’aux champs, le jeudi et parfois le matin avant d’aller à l’école. Un autre travail dévolu aux enfants consistait à aller chercher le bois de chauffage, sur les parcelles en altitude, puisque les champs autour du village étaient cultivés.

Hormis une activité agricole importante, la vallée de Siguer possédait deux atouts : des ardoisières, dont l’une était encore en activité dans les années 50, et du minerai de fer ; le gisement moins important et moins connu que celui de Sem était situé en dessous de la Pique d’Endron, au dessus de l’actuel barrage de Gnioure. Le minerai était descendu à l’aide de mulets jusqu’à l’actuel parking du Bouychet, au bout de la route goudronnée. Il était ensuite transformé dans une petite forge au lieu dit « La Prade ».

La présence de rivières et ruisseaux favorisa l’installation de moulins dans la vallée; tous les paysans du secteur (jusqu’à Illier ou Orus) portaient leur grain à moudre dans l’un des deux moulins qui travaillaient jour et nuit à l’époque des moissons. Monsieur JEAN raconte que lorsqu’il avait à peu près 6 ans, il était allé porter la récolte familiale au meunier ; le meunier, qui comme presque tous les habitants, n’était connu que par son surnom (à Siguer presque tout le monde s’appelait Rouzeaud ou Marfaing…) avait prélevé une partie du grain avant de moudre, ce qui avait beaucoup choqué l’enfant. De retour chez lui, sa mère lui avait expliqué que le meunier avait « moulturé » ce qui signifiait qu’il s’était payé en nature… Maintenant, les meuniers n’existent plus, les moulins ne tournent plus, et les rivières ne servent plus que pour la pêche à la truite !

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