L’homme s’est inventé des Dieux pour expliquer et apprivoiser les phénomènes naturels, en particulier dans le domaine météorologique. L’étrangeté de certains phénomènes géologiques a également conduit les hommes à leur trouver des explications d’ordre divin : il a bien fallu essayer de comprendre d’où venaient montagnes et rochers, surtout lorsque ces derniers prennent des formes incongrues!
Le mythe fondateur des Pyrénées est bien connu de tous : la
belle Pyrène
fut séduite par le demi-Dieu Hercule. Lorsqu’il la quitta
pour poursuivre ses travaux, elle se crut abandonnée, et s’enfuit dans
la forêt où elle fut tuée par des bêtes sauvages. Pris de remords,
Hercule lui bâtit la plus fabuleuse des tombes : les Pyrénées.
Au coeur de la grotte de Lombrives, se trouve une concrétion appelée
« le tombeau de Pyrène ».
Maintes légendes nous expliquent la
formation d’un sommet, d’un rocher,
d’une rivière ou d’un lac. Quelquefois les rochers peuvent avoir été
transportés par un géant ou une géante : ainsi en Barousse la
pierre du Mail de la Mule est un bloc de rocher qui aurait été
transporté par la Giganta de l’Arraït dans son tablier. C’est un des
rares exemples que j’ai trouvé de femme
« bâtisseuse ». La force physique est plutôt
l’apanage des hommes, mais les femmes peuvent puiser dans leur
faiblesse l’inspiration créatrice :
le Salat, prend sa naissance sous le Port de Salau de neuf sources
qui seraient les neuf larmes versées par une princesse
espagnole fuyant son pays ravagé par les Sarrasins. Il existe une
variante selon laquelle la princesse pleure parce qu’elle a été
délaissée par son amoureux.
Mais le plus souvent, l’origine du
phénomène est expliquée par une
métamorphose : les humains sont déshumanisés (en général
pétrifiés) par punition, comme par exemple dans l’histoire du lac de
Lourdes, qui n’est pas sans rappeler l’épisode biblique de
Sodome et Gomorrhe où la femme de Loth, elle aussi,
avait été changée en pierre:
Autrefois, à l'emplacement
du lac de Lourdes, s'élevait une cité dont les habitants étaient si
méchants et pervertis que Dieu décida de la détruire et d'engloutir
toute la population. Pourtant, il accepta de faire une exception pour
une famille qui s'était montrée de tous temps pieuse et charitable et
il la fit prévenir de quitter la ville avec cet
avertissement : « quoi que vous entendiez, vous ne
devrez vous retourner pour voir ce qu'il se passe.» Et à peine en
avaient-ils franchi les limites qu'ils entendirent des bruits
épouvantables derrière eux. L'homme pressait les siens leur répétant
qu'ils ne devaient, sous aucun prétexte, regarder en arrière.
Mais sa femme, portant dans ses bras son dernier-né, prise de
curiosité et voulant absolument savoir ce qu'il se passait, se retourna
et fut aussitôt changée en une statue de pierre. On peut la voir en
bordure de la route de Poueyferré, à la limite des communes de Lourdes
et Bartrès : c’est un grand bloc de pierre incliné
dans la direction du lac appelé la «Peira Crabèra ».
Dans cette histoire, on a l’explication de deux phénomènes naturels : un lac, sur le lieu d’une cité engloutie, et un rocher, qui serait le résultat d’une métamorphose. Notons que c’est la femme qui est incapable de résister à la curiosité et qui cède à la tentation de se retourner : la curiosité est un attribut classiquement associé au sexe « faible ».
Les
femmes peuvent aussi être à l’origine de sommets
prestigieux comme le conte une légende du haut Aragon ; je
vous en donne une version très féministe (probablement due au mouvement
romantique de la fin du 19ième siècle), nous montrant des
bergères résistant à des soldats, mais il en existe une forme
notablement différente et probablement plus authentique : les
sœurs acceptent le mariage avec leurs ennemis, et sont ensuite punies
par le fantôme de leur père qui les pétrifie.
Trois jeunes soeurs inséparables et très belles gardaient leur troupeau, lorsque trois guerriers d'une tribu ennemie surgirent, avec l'intention de les enlever de force. Habiles dans le maniement des poignards, les trois bergères se défendirent avec un tel acharnement que les agresseurs n’eurent d’autre solution que de les tuer et de s’enfuir. Le lendemain, le père, fou de douleur, ne trouva nulle trace de ses filles. Mais, à la stupéfaction de tous, sur les hauteurs de la vallée, avaient surgi trois montagnes, couvertes de neiges éternelles, qui prirent à jamais le nom des Tres Sorores : Cylindre du Marboré, Mont Perdu et Soum de Ramond .
On a déjà vu que les femmes en pleurant peuvent être à l’origine de rivières. Mais elles peuvent aussi être métamorphosées en rivière, comme dans cette légende ariégeoise qui explique la naissance de l’Ariège, ainsi que sa richesse en or.
Mengarde était une jeune et belle princesse délaissée par son mari ; elle prit comme amant son cousin aragonais et lui livra son château ; au retour de la guerre, le mari trompé fut tué. Alors surgit un vieillard ; il déclencha une crue qui emporta le prince espagnol et ses armées, et dit à Mengarde "Tu as honteusement trahi ton pays, tu as trompé ton seigneur. Tu seras désormais, pour l'éternité, transformée en torrent. Tu n'iras pas vers l'Aragon mais vers le pays de Foix. Tout l'or que tu as accumulé dans ton château a été emporté vers la plaine et après chaque orage les flots charrieront mille paillettes." C'est ainsi que l'Ariège devint le paradis des orpailleurs.
Après la curiosité, voici un deuxième défaut féminin qui émerge et qui reviendra dans d’autres légendes : la trahison de l’époux par sa femme, un thème récurrent, parce que lié à un souci universel.
Remarquons que seule la géante
qui transporte des rochers dans son
tablier agit de manière active ; les autres personnages
subissent leur destin et ne participent que bien
involontairement à la création d’une montagne, d’un rocher ou
d’un fleuve. On a donc ici très nettement la vision d’une femme
caractérisée par sa passivité. Notons que la perte d’humanité par
pétrification ou métamorphose n’est pas l’apanage des femmes :
il existe aussi des hommes pétrifiés par punition ; mais les
défauts en cause sont plutôt la dureté et l’avarice que la curiosité ou
le mensonge.