La
femme puissance protectrice et maternelle
Les
Dames Blanches, présentes dans de nombreux lieux des Pyrénées,
s’apparentent à des fantômes ; dans les deux légendes suivantes, elles
reviennent prévenir les vivants d’un danger ou d’une catastrophe.
La Dame Blanche de Puivert
Vers la fin du XIIIème siècle, une belle princesse Aragonaise fut
invitée par Jean de Bruyères, seigneur de Puivert à séjourner dans son
magnifique château. Elle aimait méditer au bord du lac, assise sur un
rocher sculpté comme par magie en forme de fauteuil. Pour éviter que ce
siège ne soit submergé les jours d'orages, le seigneur engagea des
travaux pour réguler le niveau de la nappe d’eau. Mais un soir de juin
1289, les eaux tumultueuses emportèrent les digues du lac,
engloutissant toute la vallée et noyant les habitants du petit village
en contrebas nommé Mirepoix. La princesse, voulant voir l’étendue du
désastre s'approcha trop près et fut aussi emportée dans le torrent....
Depuis
ce triste soir, dans les veillées, à voix basse, on prétend que les
soirs de pluie, une dame blanche erre près du château pour prévenir les
promeneurs d'un danger.
La Dame Blanche de Montségur
Lorsque les nuages arrivent, lorsque le ciel s'assombrit, lorsque le
tonnerre gronde, les habitants de la vallée, les bergers, et
les
montagnards savent qu'il faut quitter le pog de Montségur et vite
rentrer. Mais si vous faites partie des téméraires qui
restent
sur les lieux, il est possible que vous assistiez à un phénomène
étrange : au dessus du village, près des murs du château en ruine,
noircis par le carnage de 1244, apparaît une forme blanche qui marche
lentement, puis semble danser sous la pluie, jouer avec le vent,
tourner en levant ses longs bras vers le ciel. C'est Esclamonde, la
Dame Blanche du château, fille du seigneur de Péreilhe, un des chefs de
la résistance héroïque à Montségur. Elle pleure les victimes
de
ce jour de mars où 250 cathares périrent dans les
flammes. Lorsque la tempête s'éloigne, la Dame Blanche
disparaît,
non sans avoir jeté un dernier regard vers sa ruine. Certains habitants
affirment qu'elle est là pour nous prévenir d'une catastrophe, et nous
protéger des flammes du ciel ....
Ces
deux histoires présentent bien des similitudes: elles se passent toutes
deux dans un château, les soirs de pluie et de tempête. Les deux
apparitions sont celles de femmes qui ont réellement existé, qui sont
mortes de mort violente, et à qui on attribue une fonction protectrice.

Pour
beaucoup d’érudits, les apparitions de la
Vierge Marie sont un
avatar chrétien de la légende des Dames Blanches.
Marie
est une figure primordiale dans les Pyrénées, où l’on recense environ
80 apparitions avant la plus célèbre, celle de Lourdes. Il
existe
plus de 300 chapelles, ermitages, sources ou sanctuaires dédiés à Marie
et qui ont fait l’objet de pèlerinages bien avant 1858. Les différents
lieux de culte avaient chacun leur spécificité, mais il s’agissait
toujours d’assurer la fertilité des femmes, des bêtes et même des
terres. Ainsi les jeunes filles à marier se rendaient-elles à Notre
Dame del Frau à Carbonills (en Catalogne), les couples sans enfants
devaient passer une nuit à la chapelle de Notre Dame des Isards, dans
la vallée du Biros ; pour la fécondité des animaux, il fallait prier
Notre Dame de Palle, dans la sierra de Cadi, et Notre Dame de Thuir
près de Perpignan était invoquée en cas de sécheresse…
La plupart de ces rites sont désormais tombés en désuétude, mais les
malades continuent à se rendre à Lourdes dans l’espoir de trouver la
guérison ou tout au moins un apaisement à leurs souffrances. On peut
donc affirmer que le culte marial est étroitement lié à la fécondité et
à la santé.
Si
l’apparition de Lourdes a connu un tel succès, c’est sans doute en
raison de nombreuses guérisons attestées ; elle est également venue au
bon moment pour renforcer le dogme de l'Immaculée Conception.
On
peut aussi penser que l’affluence touristique qui commence au début du
19ième siècle dans les villes thermales a contribué à une promotion du
pèlerinage…
Il est très intéressant de
rapprocher certains aspects souvent pris par le culte marial des autres
croyances traditionnelles, bien antérieures à la christianisation des
Pyrénées :
La
description du phénomène est très semblable à celle de l’apparition
d’une Dame Blanche : une forme fantomatique, blanche et qui irradie une
certaine lumière ; il s’agit d’ailleurs, comme dans les deux cas
précédemment cités d’un personnage ayant réellement existé. |
Un
lien fort existe entre les statues de Marie et les arbres ; en
Catalogne la statue Notre Dame del Roure, qui a le pouvoir de
transpirer à l’approche d’un désastre, a été découverte dans les
branches d’un immense chêne, et celle de Notre Dame des Espinars
(Vallespir) au milieu d’un buisson d’églantiers ; or certains arbres
(et parmi eux les épineux) étaient sacrés chez les Celtes et les
Gaulois comme dans toutes les traditions animistes. On retrouve ici la
volonté d’absorption des rites païens par la religion catholique. |
Beaucoup d’apparitions ont lieu à proximité d’une grotte ou d’une
source, qui sont les lieux habituels d’apparition de Mari et des fées.
L’eau est liée aux femmes et à la fécondité : en effet, l’eau, dans son
parcours souterrain, traverse ce qui est considéré comme le domaine des
Morts dans la mythologie populaire. Ceux-ci reviendraient chez les
humains, par la source, et se réincarneraient chez la femme venue boire. |
Enfin plus de 170 découvertes de statues de la Vierge sont
attribuées à un bovidé, qui s’agenouille et se met à gratter le sol.
(Par exemple l’église Notre-Dame de Sescas à côté de Saint
Lary est
construite à l’emplacement où un bœuf aurait découvert une
statue de
la Vierge) Rappelons que les bovidés font partie des attributs associés
à Mari et aux déesses mères méditerranéennes: le bovidé est
symbole de
fécondité et de profusion au point que les rois mérovingiens
s’exhibaient juchés sur des chars tirés par des génisses |

Marie apparaît ainsi à la fois comme
l’archétype de
la femme dans son rôle de mère et comme le dernier avatar des déesses
mères de l’Antiquité. A travers Marie et les Dames Blanches, la femme
remplit une fonction protectrice et maternelle : elle contribue à
perpétuer l’espèce, non seulement comme reproductrice, mais également
comme éducatrice. Remarquons que les apparitions sont liées à un
endroit, comme une mère est rattachée à son foyer : la protection
accordée est locale, et non plus universelle comme celle de Mari.