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La femme séductrice et tentatrice

C’est le rôle par excellence des fées, présentes  tout au long de la chaîne sous diverses formes et connues sous de nombreuses appellations : «hadas», «lamin», «encantadas».
A travers les différentes histoires, on peut dégager un certain nombre de constantes :

Les fées ont une activité essentiellement nocturne, et vivent dans des grottes, généralement près d’une source ou d’une fontaine où elles lavent leur linge.

    La Fontestorbes, à Bélesta est une fontaine un peu folle qui, de juillet à novembre, ne coule que six minutes toutes les cinquante minutes. On dit que cela est dû aux fées qui l’habitent et qui y lavent discrètement leur linge la nuit avec des battoirs en or…
    Dans le conte « Les hades é lous dus rays » deux frères passent devant une fontaine où ils voient «deux petites femmes vêtues de robes brodées d’or».
    Dans un récit des environs de Mont-de-Marsan, une jeune fille va à la fontaine et voit «une fée assise sur le banc des lavandières. Elle peignait ses longs cheveux soyeux avec un peigne d’or qui lançait des éclats à la lune».
Ailleurs il est question de grotte des fées où «elles mettent le linge à sécher».

Elles ont une apparence humaine mais souvent les pieds palmés
Fée aux pieds palmés
    Dans le Couserans, les Encantados laissaient derrière elles des traces, comme des feuilles de platane ou d’érable (trace de pieds palmés donc) : les chrétiens ne pouvaient y poser le pied sous peine de mort !
C’est l’unique détail physique qui permette de différencier les fées des femmes, et c’est une particularité qui n’est pas immédiatement visible, puisque les pieds sont le plus souvent cachés sous une longue robe. Il n’est donc pas immédiat de savoir que l’on a affaire à une fée : la connaissance de l’autre doit se mériter !
Pourquoi maintenant des pieds d’oie, et non de chat ou de lapin ? Sans doute parce que les traces animales les plus fréquentes autour des points d’eau, habitat supposé des fées, sont celles des palmipèdes.
On peut aussi faire un rapprochement avec les « contes de ma mère l’oie » de Perrault.

Elles recherchent l’alliance avec les humains

    Les fées sont des êtres ambivalents qui séduisent ou tentent de séduire par des particularités de leur mode de vie : elles mangent du pain blanc et savoureux,  possèdent de nombreux objets en or. Nombreux sont les récits où elles ont besoin de l’aide d’un être humain pour être délivrées d’un enchantement.

    Le récit intitulé « Le hade et le Gouye » met en scène une fée près d’une fontaine ; elle donne tous les jours des louis d’or à l’héroïne, sous la promesse qu’elle garde un secret. Mais cette dernière rompt le serment et les louis se transforment en feuilles de vernhe (aulne).

    Margalide était une fée si belle que sa beauté excita la jalousie des Dames Blanches du Val d'Azun qui la condamnèrent à vivre sous la terre, errant entre les fontaines de Capdivère et celle de Bardéroun. Seule une main pure pourrait lui faire recouvrer sa liberté, à condition que cette main déroulât jusqu'au bout le peloton de soie rouge dont la fée était nantie. Un jour, une fillette d'Arcizan, venue puiser de l'eau avec sa cruche vit le ruban de soie rouge ondulant au gré du courant et commença à le tirer ; elle n’avait jamais vu de fil si beau, si brillant, si doux… Mais sur des appels pressants de sa mère, elle cassa le fil avant d’avoir tout dévidé laissant son œuvre de délivrance inachevée. Depuis ce temps, Margalide est restée ainsi, un pied dans la fontaine, l'autre dans le rocher, prisonnière pour l'éternité.
 
    Si on trouve quelques récits où les fées entrent en relation avec des jeunes filles, la trame habituelle du conte est celle d’un contrat passé entre un homme et une fée : elle lui offre sa beauté et lui donne des enfants, en échange de quoi il ne doit révéler à personne qu’elle est fée. Mais ces alliances se terminent toujours mal, car l’époux  brise l’interdit posé.
    Dans le conte « Pierrot d’Ourdas », un jeune paysan ariégeois épouse une des fées de la grotte de Malarnaut  et doit faire le serment de ne jamais dévoiler que sa femme a les pieds palmés. Mais un jour, pris de boisson, il la traite de  Pé d’Auco (pied d’oie)  et elle disparaît.
 
    Dans certains récits les fées apparaissent nettement bénéfiques :

    La vallée du Salat est célèbre par les fées (appelées ici sarrasines) qui l’habitent et qui sont les gardiennes des trésors sarrasins cachés dans les environs. La nuit elles étendent leur linge au clair de lune et ceux qui leur rendent des services sont assurés d’être bien récompensés : à Erp, un homme, qui s’était occupé de l’enfant de l’une d’elle, reçut cinq sous chaque matin devant sa porte, si bien qu’il n’eut plus à travailler.

    Mais dans d’autres, elles possèdent un caractère capricieux qui peut amener les humains à les craindre.
 
    Les Encantadas faisaient subir aux paysans alentours mille tourments. Lorsque ceux-ci  les poursuivaient,  la bande se réfugiait dans une forêt de chênes verts et disparaissaient dans les branches touffues. Un jour le plus jeune et le plus frêle des chênes menaça de dévoiler leur refuge. Les sorcières se décidèrent à partir, mais auparavant exaucèrent les souhaits des autres arbres et les couvrirent de feuilles d'or, de cristal, ou encore parfumées et sans épines. Seul, l'arbre révolté  conserva son ancien feuillage. Le lendemain matin, des contrebandiers qui passaient par là cueillirent toutes les feuilles d'or ; la tramontane qui soufflait avec violence fit tomber les feuilles en cristal. Et les chèvres qui paissaient dans une prairie voisine dénudèrent  en un clin d'oeil les chênes aux tendres rameaux. Seul le petit chêne maudit par les Encantadas conservait son feuillage naturel. Il excita la jalousie de ses orgueilleux voisins qui dépérirent les uns après les autres. Et le petit chêne vert, grâce à qui la contrée avait été débarassée des fées fut l'objet d'un vrai culte de la part des habitants de Ria et des villages environnantsune sorcière hermaphrodite
 
    La femme séductrice possède donc des pouvoirs qui peuvent presque en faire une sorcière ; au XVe siècle, un grand ouvrage sur la sorcellerie (De Lamiis, de Molitor) utilise le terme de Lamie pour désigner une sorcière à la fois corruptrice et sensuelle, figurant sur de nombreux blasons sous forme d’hermaphrodite.

     Dans son fameux livre de 1613, le Conseiller au Parlement de Bordeaux, le sanglant juge de Lancre parle des Lamies et y voit le démon :
« L’ancienneté croyait que c’étaient des bêtes sauvages ayant le visage d’une très belle femme, le regard gracieux et attrayant, le sein et le corps beau et au surplus serpents, découvrant leurs tétins et leur estomac pour attirer les hommes, lesquels s’approchant étaient aussitôt dévorés par ces fées ».

    Ces quelques lignes en disent long sur ce que représentent les fées pour le juge, et par delà pour bon nombre d’hommes : belles et séductrices, donc infiniment dangereuses ! Elles attirent par leurs charmes les hommes qu’elle « ensorcellent ». Ici la femme est objet du désir, mais pas seulement de façon passive : ce sont souvent les fées qui sont en quête d’une alliance avec les hommes.

    Mais pour quelques contes où les fées jouent des tours aux hommes, on en trouve une majorité où elles sont « bénéfiques par nature, par essence, par obligation congénitale » (Isaure GRATACOS). On est en présence d’une vertu souvent associée aux femmes : le dévouement.

    Le marché conclu entre une fée et un homme est tout à l’avantage de ce dernier : en contrepartie de sa beauté et de sa jeunesse, elle ne réclame que la promesse de la fidélité à la parole donnée… Mais même cela est trop demander! Le conte nous parle ici de la difficulté d’établir une relation de confiance durable dans la vie conjugale.
 


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